MAGAZEN : Pourquoi les enfants si civilisés d’habitude se transforment-ils en “sauvages” au square ?
Valérie Guinoiseau : Nous avons un double objectif quand nous emmenons notre enfant au square : nous l’accompagnons dans un endroit sécurisé où il pourra se défouler, courir, grimper... et où nous prendrons le temps de faire une pause. L’enfant pourra libérer les tensions accumulées, après être resté assis dans sa poussette ou à l’école de longs moments à écouter sans parler. Le plus souvent assis sur un banc, l’adulte s’attend à ce que l’enfant joue, s’entende avec les autres enfants, prête ses jeux, reste propre, se défoule sans risque... sans avoir à intervenir. Mais la présence d’autres enfants impose un minimum de civilités : ne pas jeter de sable, prendre le toboggan dans un sens donné, etc. Au square, l’enfant doit donc, à l’occasion du jeu, apprendre à devenir “social”. Développer la marche pour aller vers l’autre... ou le fuir. Coordonner sa main pour jouer, se défendre ou attaquer l’autre. Acquérir le langage pour nommer les choses ou se disputer. Bref, construire son identité et apprendre la politesse, découvrir ses sentiments et apprendre à les nommer. Ainsi, vers cinq ans, il acceptera généralement de renoncer à son propre désir de jeu pour se rallier au plaisir de jouer avec d’autres enfants autour d’une idée fédératrice. Toutes ces étapes sont nécessaires pour bien vivre au square. L’apparition du “nous” dans le vocabulaire de l’enfant indiquera qu’il est prêt à s’organiser dans un espace collectif en en respectant les règles, en se positionnant face aux autres enfants. Mais tout cela ne va pas forcément de soi et l’enfant peut avoir besoin de l’adulte pour faciliter ces apprentissages.
MAGAZEN : Quelles sont les clés pour civiliser le jeu au square ?
VG : Trois clés permettent d’optimiser ce moment : le temps, les règles et la place de l’adulte.
- Le temps – Définir ensemble un temps de présence au square et prévenir du départ cinq minutes avant. L’enfant a ainsi le temps de finir son jeu et de se préparer à l’idée de partir. C’est tout simple, mais tellement utile pour faciliter un départ serein !
- Les règles – Faire le tour du square avec l’enfant et lui expliquer gentiment ce qu’il peut faire plutôt que de lui dresser une liste d’interdits : “Tu vois Margaux, dans ce square tu peux marcher seulement sur le sable ou sur le revêtement plastifié (... et non sur la pelouse), tu peux prendre le toboggan à l’endroit, tu peux aussi observer et sentir les fleurs (... et non les cueillir), etc.”
- La présence de l’adulte – Elle se résume en une phrase : observateur bienveillant de celui qui sait faire, mais attentif à celui qui a besoin d’aide. L’adulte laissera ainsi son enfant grimper sans aide, attendre son tour, jouer avec d’autres, etc. Maria Montessori, grande pédagogue, disait : “Toute aide inutile est une entrave au développement de l’enfant”. Mais l’adulte aidera son enfant s’il en exprime le besoin à expliquer ce qu’il éprouve, à se positionner face à l’autre, à se rassurer lors d’un effort, etc. L’observation et la connaissance de son enfant permettent de savoir quand il est bon d’intervenir et quand il est préférable de s’en abstenir.
MAGAZEN : Comment gérer les disputes des enfants ?
Une dispute peut éclater lorsque les gestes vont plus vite que les mots ! Votre enfant a donné ou reçu un coup. Il faut éviter que “l’agresseur” soit grondé voire puni tandis que la “victime” est plainte et cajolée. Il est préférable pour éviter tout sentiment ultérieur d’injustice de demander à chaque enfant ce qui s’est passé en leur donnant la main à tous les deux tout en vous mettant à leur hauteur pour témoigner de votre attention. Chaque enfant exprime son ressenti, ce qui permet de trouver ensemble une solution pour effacer le différend : par exemple, “l’agresseur” soigne “le blessé” par un baiser ou une poignée de main amicale. Ainsi, “l’agresseur” mesure la conséquence de son acte et en assume la responsabilité. Et puis, l’adulte doit avoir conscience qu’au square, il est observé et donc soumis au jugement de l’autre. “Mais qui est donc la mère de ce petit Michel qui a terrorisé ce bébé ?” Nous voulons tous que nos enfants soient reconnus comme “bien élevés”, non ? Alors aidons-les à acquérir cette politesse qui facilite tant la vie en commun et pas seulement au square.